Pas question d'abandonner Mistral ! Je vais donc accompagner mon père chez le vétérinaire afin de soutenir mon cher copain dans l'épreuve. Le pauvre innocent est placé dans un panier de transport en osier et nous prenons le train de Villard en fin de matinée, celui de 11 h 17. Le trajet est rapide, cinq minutes plus tard nous arrivons en gare de Villard d'Avers. Le vétérinaire n'est pas très loin et après 20 mn de marche nous voici dans la salle d’attente. Nous allons pendant l'opération, papa et moi, manger un sandwich au café de la gare. L'opération, somme toute assez anodine, est réalisée sans problème particulier peu de temps après notre arrivée. En fin d'après-midi nous reprenons notre Mistral encore un peu étourdi par l'anesthésie mais heureux de nous retrouver. Vers 18 h le train arrive à la gare, direction Gap avec arrêt à Clérieux. Je me rappelle encore la 141R en tête d'une rame OCEM à rivets apparents. Nous nous installons dans un compartiment. Le chauffage sous les sièges dispense une chaleur agréable pour ce trajet très bref que je connais bien.

Et puis voilà, alors que tout va bien, tout va basculer dans l'angoisse ! Je ne résiste pas à l'envie de jeter un œil à mon cher minet et pour cela j'entrouvre le panier en tirant la baguette de fermeture. Je passe la main à l'intérieur du panier sans l'ouvrir complètement pour caresser Mistral qui se met à ronronner. C'est alors que le train démarre et que la locomotive lâche la vapeur et donne un coup de sifflet strident ! Mistral totalement affolé se raidit et force le passage en sautant du panier ! Je ne peux rien faire, mon père non plus. Voilà le chat, les yeux hors de la tête, les oreilles rabattues et la queue gonflée qui court dans le compartiment comme un fou. Un voyageur qui rentre s'installer voit le chat passer à cet instant entre ses jambes !  Mistral court à présent dans le couloir latéral. Le train démarre et prend de la vitesse. « Mistral où es-tu ? » Nous nous précipitons pour tenter de le reprendre. Pas de chat dans le couloir, Mistral s'est enfilé dans un autre compartiment. Lequel ? Beaucoup de portes sont ouvertes, les voyageurs ne sont pas tous installés. Il y a du mouvement. Nous arpentons le couloir de long en large. Ce qui est certain c'est qu'il est dans cette voiture ! Nous demandons aux voyageurs s'il n'ont pas vu notre chat ;  on ouvre les portes, on les referme. Il y a des compartiments ouverts mais vides. Rien sous les sièges. L'angoisse monte. Et voici déjà l’arrivés en gare de Clérieux ! Je ne veux pas descendre du train. Papa me dit qu'il le faut absolument car il n'a pas le temps d'aller plus loin et il ne veut pas me laisser seule à mon âge. Il fait nuit dehors en cette saison. Papa m'affirme que le chat sera retrouvé dans une des prochaines gares, qu'il va user de ses connaissances à la SNCF pour faire rechercher le fuyard. L'âme en peine je quitte le train. Mon père signale notre problème au contrôleur qui lui assure qu'il fera l'impossible pour remettre la main sur le fuyard. L'arrivée à la maison est lamentable. Nous sommes tous très attachés à ce petit être. Nous devons annoncer penaud le malheur. Maman est au bord des larmes et moi je suis transformée en fontaine. La soirée est lugubre.

Les jours suivants ne sont pas plus joyeux. Après maints appels téléphoniques de mon père à différents collègues de travail, personne n'a retrouvé le chaton ni même ne l’a aperçu ! Je songe qu'il doit être bien seul dans le froid et, qui plus est, affaibli par son opération. Que va-t-il devenir ?

Les jours passent et l'espoir de revoir Mistral s’amenuise. Je l'imagine perdu dans l'immensité enneigée, attaqué par des bêtes sauvages. Il risque mille accidents à commencer par être heurté par un train ou une voiture. Il ne connait rien des dangers du monde. Cela semble impensable de le retrouver dans cette immensité. Le train va jusqu'à Gap en s'arrêtant dans de nombreuses gares. Tout peut arriver.

Noël approche à présent. Le drame a eu lieu il y a environ un mois et nous n'avons eu aucun retour des nombreuses affichettes que nous avons placées dans beaucoup de gares sur la ligne. Aucun des coups de téléphone donnés par Papa à ses collègues n’a donné de résultat. Personne n’a vu Mistral. C'est un triste Noël qui s'annonce.

Le 23 décembre mes parents proposent cependant d’installer un sapin et de le décorer. Je suis vidée, sans énergie, le goût à rien malgré les fêtes. Mon père m'oblige à le suivre pour aller couper un sapin en forêt. Comme de nombreux habitants du village, nous avons une parcelle boisée que nous exploitons à notre guise et qui nous alimente en bois de chauffage. Tous les ans nous y prenons un jeune épicéa pour faire notre sapin de Noël. Moi qui d'ordinaire me réjouis de cette opération, j'accepte bon gré mal gré de le suivre en traînant des pieds. Chaudement vêtus, nous prenons à pied le chemin du Pas des Lauzes qui passe devant la ferme de la Basse Béraude pour rejoindre notre parcelle. Je ne discute pas le choix de mon père, comme je l’aurai sans doute fait en d’autres circonstances, lorsqu'il porte son dévolu sur un jeune sapin de 1,5 m environ. Au fond rien n'a plus d'importance pour moi. Nous revenons en traînant le sapin sur le chemin enneigé. La nuit n'est pas loin de tomber, le soleil est déjà bas sur l'horizon. Un kilomètre environ avant la ferme, nous entendons un drôle de bruissement dans le taillis. Je m'arrête et j'entends un bruit que j'identifie immédiatement ! Il y a un chat non loin du chemin. Je fais un petit appel auquel je pense en réponse recevoir un miaulement ! J'incite mon père à s'arrêter. Il n'a rien entendu. « Tu te fais des idées » affirme-t-il. « Il n'y a rien ». Je persiste et appelle encore. Cette fois le cri est plus net, presque celui d'un bébé. Papa a entendu cette fois. Nous donnons de la voix vers le fourré, lorsque soudain surgit un être humide miaulant à tue-tête. C'est Mistral, c'est bien lui ! Nous n'en croyons pas nos yeux et nos oreilles. Même si son état peut laisser des doutes sur son identité, il est évident par la confiance qu'il nous accorde qu’il s’agit bien de notre minou ! Cette fois aucun problème pour le prendre dans mes bras. C'est tout juste s'il n'y saute pas de lui-même. Je le serre bien contre moi et nous accélérons le pas pour rejoindre la maison.

Vous n'imaginez pas la fête de Noël que cela a été ! Nous sommes accueillis dans la joie à notre retour. Mistral ne semble pas souffrir plus que cela de son aventure. Il est mouillé mais n'est pas blessé et plutôt en bonne forme. On voit bien qu'il a trouvé à se nourrir par lui-même car il ne fait pas pitié. Les fêtes se déroulent comme je ne l'ai jamais espéré. La famille est au complet : mes parents, mon petit frère qui a 2 ans et Mistral ! La veillée autour du sapin et de la cheminée est joyeuse et Mistral participe à cette joie en tentant à plusieurs reprises l'escalade du sapin. Quelle a été son aventure ? Dans quelle ville a-t-il quitté le train ? Comment a-t-il pu retrouver le chemin de sa maison ? Autant de questions auxquelles il est impossible de répondre. Chacun y va joyeusement de son hypothèse mais il est impossible d'être certain de quoi que ce soit. A-t-il quitté le train dès la gare de Clérieux ou bien tout au contraire est-il allé jusqu’à Gap ? C’est sans doute dans une gare intermédiaire qu’il s’est sauvé de la voiture compte tenu du temps qu’il a mis à rentrer ! Une seule chose est sûre, c'est un merveilleux Noël que nous a offert Mistral le rapide.

Le chemin vers la basse Béraude un jour de neige

Jeune sapin non loin de notre parcelle. La photo a été prise à une date bien plus récente que le récit. Je n’avais pas d’appareil photo à l’époque ni le goût à en prendre dans ces circonstances.

Photo prise par mon père de notre Mistral lorsqu’il avait deux ans.