Les oubliés de Noël
samedi 24 décembre 2022
Tout a commencé ce matin d’hiver le 22 décembre 1965. C’était un mercredi, premier jour des vacances. Mon amie Annie et d’autre camarades de classe : Daniel, Jacques et Guy nous étions réunis pour bavarder des fêtes et en particulier des cadeaux que nous pouvions espérer recevoir les uns et les autres. Sans être d’un milieu fortuné, nos parents respectifs avaient cependant des revenus suffisants pour que les fêtes de Noël soient réussies pour tous et que nos désirs soient comblés. Pour ma part j’espérais recevoir un électrophone avec un ou deux disques à la mode cette année là. J’avais particulièrement envie de la chanson de Claude François « Même si tu revenais », « It’s Not Unusual » de Tom Jones, « Poupée de cire, poupée de son » par France Galles. Ah ! oui il y avait aussi les Rolling Stones avec « Satisfaction » et les Beatles avec « Yesterday » et même tout l’album « Help », « California Girls » par les beach boys. Il y avait aussi Adamo dans une chanson romantique dont le titre ne me revient pas. Bon, d’accord j’espérais secrètement un peu plus que deux disques ! Annie rêvait d’une robe chic qu’elle avait repéré dans un grand magasin de Grenoble. Chacun y allait de ses récits en exprimant ses rêves, non sans une certaine excitation. Notre petit groupe s’était retrouvé non loin de la Praie du bas du bourg, en face du café-bar-tabac. Soudain, trois enfants en guenilles dont l’aîné n’avait pas 6 ans s’avançaient dans notre direction. Nous les connaissions bien mais n’avions guère de relation avec eux par la différence d’âge d’une part mais aussi parce que leur allure n’engageait pas à se lier d’amitié. Il étaient dépenaillés, sales, la morve au nez en cette saison, et leur odeur était perceptible à 5 m à la ronde ! C’étaient en fait de gentils enfants qui ne faisaient pas de bêtises. Il faut dire que chez eux ils en auraient entendu et ils filaient doux ! Ils faisaient vraiment pitié à voir, par leur tenue mais plus encore par leur visage sans espoir. Pour eux Noël devait être un jour comme un autre ou même pire qu’un autre, une période pénible à cause de la joie omniprésente dans le village qui fêtait un événement auquel ils étaient étrangers.
Dès que nous les vîmes nos cœurs se serrèrent et nous nous tûmes. Nous ressentions une certaine honte à étaler en parole nos hypothétiques cadeaux devant ces pauvres petits déshérités. Pourtant nous n’étions pas pour autant de familles riches mais nous ne manquions de rien et cela allait même un peu au delà concernant le superflu. C’était tellement affligeant de voir des enfants de cet âge se promener l’âme en peine avec de tristes mines et ne riant pas entre eux. Soudainement l’un des nôtres (je ne sais plus lequel mais ce n’est pas moi) s’est écrié après leur passage : « c’est insupportable ! Pourquoi ces enfants là n’auraient pas eux aussi un joyeux Noël ! » À partir de là les idées fusèrent comme savent le faire des adolescents de 15 ans en groupe. Cela partait dans toutes les directions ! On proposa de leur procurer des vêtements, ou de quoi faire un bon repas de fête. Ces idées furent rejetées car nous ne voulions pas blesser les parents et les humilier. Par ailleurs ce n’est sans doute pas cela que pouvait espérer ces enfants, leurs rêves étaient sans doute ailleurs. Nous nous entendîmes sur le fait qu’eux aussi pouvaient espérer un peu de superflu en ces jours de fête. Ce n’étaient pas notre rôle ni vraiment pertinent de leur fournir l’essentiel, juste pour un jour !
Nous tînmes conseil. C’est Noël, donnons leur des jouets ! Il faut que ce Noël leur laisse un grand souvenir. Nous n’avions pas de vieux jouets dont on était prêt à se séparer. Ce n’était pas bien non plus de donner nos rebuts ! À cette époque nous n’avions guère de vieux jouets ou alors dans un état interdisant décemment d’en faire cadeau.
Bien sûr, l’idée d’acheter dans le commerce des jeux pour leur âge fût examiné. Assez vite on comprit qu’on serait incapable de mettre cela en application. Il ne fallait non plus oublier personne car en faisant un inventaire des enfants du village dans une situation difficile, on en trouvait deux autres ce qui aboutissait à un total de cinq. Pour offrir des jouets achetés il faudrait passer par nos parents pour récupérer une certaine somme. Cela soulevait toute sorte de problèmes à commencer par le fait que certains de notre groupe se verraient refuser tout net le don par leurs parents.
À force d’échanger des idées, une fois les premiers moment d’excitation dépassés, nous nous mimes d’accord sur l’idée de fabriquer des jouets par nous même. Il fallait que le résultat soit beau, aussi beau que ce que l’on voit dans les boutiques, que cela ne coûte rien ou presque, que l’on ait le temps de fabriquer nos cadeaux avant Noël et surtout que cela plaise aux enfants. La barre était très haute !
Nous décidâmes de nous quitter là dessus ce soir là et de reprendre nos réflexions le lendemain. La nuit porte conseil.
Dès 9 h le lendemain notre petit groupe était réuni. Plusieurs propositions furent faîtes comme fabriquer des jouets en découpant de la tôle dans des boîtes de conserve et assembler par soudure les pièces pour faire des camions par exemple. Ce projet fût rapidement abandonné car nous avions assez peu de temps, deux jours plein seulement ! Un compte rapide nous montrait qu’on ne pourrait pas récupérer un nombre de boîtes vides assez grand avant le 25. Difficile également de faire quelques chose de beau avec cette matière. Une idée en entraîna une autre et à parler de « matière », le bois nous vint rapidement à l’esprit.
Jeudi 23
« N’est-ce pas naturel alors que notre région est couverte de forêts ? » s’exclama Guy « Nous allons construire des jouets en bois ! » À partir de là les choses s’enchaînèrent assez vite. « Je me charge de me procurer des chutes de bois à la scierie où j’y ai des connaissances ». On pourrait fabriquer des trains en bois que l’on tire avec une ficelle ». Cela semblait l’idée idéale : des formes assez simples, à notre portée au niveau réalisation. « Il faudra que cela puisse vraiment rouler » affirma Daniel. Nous pensions tous que cette idée pourrait plaire aux enfants car à défaut d’avoir des jouets ils s’occupaient souvent les jours de congé en allant regarder passer les trains en gare de Clérieux ainsi que les manœuvres dans la cour de débord avec la pesée des wagons et le contrôle des chargements agricoles sous le gabarit. Les employés de la SNCF étaient bienveillants à leur égard et acceptaient qu’ils viennent dans la cour regarder les différentes opérations de préparation des wagons, à la condition de garder la distance et de ne toucher à rien. Il y avait là des machines potentiellement dangereuse comme la
sauterelle pour charger des wagons-tombereau, comportant des engrenages et chaînes en mouvement. Comme beaucoup de jeunes de cette époque ils étaient fascinés par les grosses locomotives à vapeur en tête des rames circulant à Clérieux. Il faut dire qu’il y avait de quoi être ébaubi ! Les 141R dégageaient une puissance et une majesté unique inconnue dans le domaine routier de l’époque.
Il n’y avait pas une minute à perdre et la première chose à faire fut de se procurer du bois auprès de la scierie. Il était 10 heures ce qui me laissait le temps de faire un saut jusqu’à la scierie avant le repas en prenant le train de Villars d’Avers. En fait je me suis fait accompagné de Daniel et Jacques, deux frères dont les parents travaillent aussi à la SNCF de sorte que nous avions le transport gratuit par le train. Nous n’étions pas trop de trois pour rapporter assez de bois. Pas question d’y retourner avant le 25 si l’on était venus à en manquer ! Nous prîmes de grands cageots à légumes pour rapporter le bois.
C’était Christian Moscatello que je devais contacter en arrivant à la scierie. Il était incollable en bois. Il était très sympathique et je le connaissais bien (
voir l’article sur le train de la scierie).
Aussi, dès notre arrivée à Villard, nous prîmes le sentier qui longe la voie étroite menant à la scierie. Nous nous dirigeâmes vers le hangar principal pour trouver Christian. Hélas ! au bureau d’accueil on nous informa qu’il avait déposé un congé de plusieurs jours pour Noël et qu’on ne le trouverait pas aujourd’hui. « Repassez après les fêtes » nous répondit un employé de manière légère sans réaliser qu’il faisait s’effondrer tous nos projets ! Et puis une petite voix féminine haut perchée s’éleva du fond du bureau. C’était Thèrèse Sarrazin, la femme du patron et, du reste, propriétaire de la scierie. Lorsque j’étais plus jeune elle m’angoissait un peu car je ne savais jamais trop quoi lui dire. « Mais c’est ma petite Marie que voici ! « Comme tu as grandi tu es devenu une belle grande jeune fille. » Je devins cramoisi par cette phrase banale prononcée devant mes copains Jacques et Daniel. Heureusement elle enchaîna rapidement sur ce qui nous intéressait. « Vous avez encore une chance de voir Christian car il doit repasser à la scierie en fin de matinée vers 11 heures. Il a oublié des affaires à lui à son bureau. » Sans doute un autre employé aurait pu nous aider mais je savais que Christian était de bons conseils. Avec tout ça il était presque 11 heures et nous n’allions pas avoir à attendre longtemps avant l’arrivée de Christian.
Fort heureusement car la conversation avec Mme Sarrasin était épuisée, ce qui ne l’empêchait nullement de parler pour meubler le temps. Elle finit par se remettre dans son travail de dactylographie et c’est alors que Christian entra.
Nous fûmes immédiatement encourager dans notre projet. Je me risquais à une sujétion : « Prenons des branches de sapin bien cylindriques pour réaliser des chaudières de locomotives. »
— L’idée est bonne mais il vaut mieux utiliser des feuillus plutôt que des conifères. Je vais regarder de quoi on dispose comme chutes de hêtre. »
La scierie avait aussi un département menuiserie produisant des bois rabotés d’une qualité supérieure au bois de charpente. Le bois de menuiserie était mieux séché que le bois de charpente et de plus il était étuvé. Si la plus grosse production de la scierie était constituée de résineux, pour la menuiserie elle produisait aussi des essences comme le chêne ou le hêtre. Christian nous entraîna dans un coin où s’empilaient ce qui était considéré comme des déchets juste aptes à faire du feu dans la cheminée. C’était des chutes de bois rabotés, donc lisses, de toute sorte de taille et de forme. Il y en avait pour tous les goûts et il suffisait de se servir ! Un vrai trésor dont on emplit nos cageots au maximum. Les bois étaient beaux, lisses et doux au touché. Cela sentait bon. Ayant déjà à l’esprit ce qu’on voulait en faire nous pûmes réaliser un choix sélectif. Lorsqu’on trouvait un morceau de forme spéciale dont on voyait clairement l’usage, on cherchait des chutes identiques de façon à en avoir cinq. En effet nous allions construire cinq rames similaires comportant une locomotive à vapeur et trois voitures ou wagons. La plupart des morceaux étaient parallélépipédiques mais fort heureusement nous avons fini par trouver des cylindres de hêtre, parfaits pour représenter la chaudière d’une loco. Rapidement nos trois cageots furent pleins. Christian nous encouragea dans notre entreprise. « C’est vraiment chouette ce que vous faites les enfants ! Travaillez bien et bonnes fêtes à vous tous ». Nous arrivâmes juste à temps à la gare pour prendre le train de 11 h 49 en direction de Grenoble qui nous déposait à Clérieux 5 mn plus tard.
Le midi avec les parents je racontais notre matinée à la scierie. Je leur montrais notre trésor et en profitais pour demander s’ils n’auraient pas des restes de peinture de couleur vive pour terminer nos maquettes. Ma mère répondit : « Nous n’avons pas grand chose en peinture et sans doute dans des tonalités peu adaptées. Mais j’ai mieux que cela ! J’ai un pot de verni cellulosique transparent à peine entamé qui donnera un bien meilleur rendu. Vos bois sont très beaux, c’est dommage de cacher le veinage par de la peinture. Le vernis va mettre en valeur les dessins naturels du bois. » Je dû reconnaitre que maman avait raison. Ce serait plus élégant de vernir et d’oublier les couleurs criardes des jouets en plastique.
L’après-midi fût consacré à mettre en route notre atelier du Père Noël. Nous décidâmes de nous installer chez moi car nous pouvions disposer d’un certain nombre d’outils indispensables comme une scie, une chignole, du papier de verre pour poncer, etc. Nous avons commencé par dresser des plans indiquant dans les grandes lignes les véhicules ferroviaires à fabriquer. Il fût convenu qu’outre la locomotive on fabriquerait une rame composée d’une voiture de voyageurs, d’un wagon-tombereau, d’un wagon à ranchers permettant le transport de grumes. Notre idée après moult discussions était de réaliser cinq rames identiques avec cette composition. Ce n’était pas impensable à l’époque de trouver dans une même rame à la fois des voitures de voyageurs et des wagons de marchandises (rame MV). Et nous pensions aussi que les enfants pouvaient jouer ensemble pour mettre en commun leurs jouets, et, l’espace d’une journée, constituer par échange une rame de trois voitures de voyageurs et deux rames de marchandises. En tout cas c’était très facile pour les trois frères qui ne se quittaient guère. Un point important était que l’on devait pouvoir atteler les véhicules ensemble pour former un train et le faire rouler en accrochant une ficelle à l’avant de la loco.
Afin de faciliter la fabrication je dessinais sommairement les plans de notre matériel roulant. Je les ai retrouvés et placés sur cette page. Tout a été simplifié au maximum. La locomotive est sans bissel et sans tender. Même si elle n’a pas de réservoir d’eau, on va dire que cette 020 est une loco-tender ! La voiture de voyageurs, sur une première esquisse, possédait des boggies. J’ai réalisé que cela fonctionnerait mal en tirant la voiture dans une rame à moins de bloquer les boggies en rotation. On s’est donc contenté d’une voiture à essieux. Tout s’annonçait sous les meilleurs auspices quand je réalisais que nous n’avions pas de bois permettant de faire les roues de voitures et wagons. Catastrophe ! Nous avions de beaux cylindres de hêtre de 5 cm de diamètre, parfaits pour réaliser les chaudières ainsi que les roues des locos. Mais pour les wagons il nous fallait des cylindres plus petits. Mon père nous sorti d’embarra en nous apportant un vieux manche à balai tout à fait adapté, en le polissant bien et en coupant dedans des rondelles. J’avais, sur mes schémas, prévu de réaliser les attelages avec des pythons en forme de crochet à l’arrière et avec un œillet à l’avant.
Le temps de dresser les plans, l’après-midi était déjà bien entamée. On ne commença à travailler le bois que vers 15h30. Mon père nous donna un coup de main, en particulier pour utiliser les outils dangereux. La scie à ruban de son atelier nous rendit bien des services. Mais c’est uniquement mon père qui la manipulait. Nous préparions le travail en traçant les bois et il réalisait les découpes. Il y avait beaucoup de pièces identiques ce qui accéléra la fabrication. J’ai dû me résoudre à abandonner la représentation d’une bielle qui pour un oui ou pour un non se mettait de travers et bloquait le roulement de la loco. Il fallait aller au plus simple ! Les roues tournaient très bien : Jacques s’occupait de percer à la chignole un trou bien centré dans chaque roue. Un clou de diamètre légèrement inférieur au trou constituait l’axe de la roue. Nous étions pas mal organisés et le soir vers 11 h les 5 locomotives et les 15 wagons étaient assemblés ! Il fallait à présent attendre le lendemain que l’assemblage à la colle blanche soit sec avant de manipuler et vernir les jouets. Tout se présentait donc pour le mieux et nous pouvions commencer à croire que nos cadeaux seraient prêts le 24 au soir. Nous avions une journée complète pour vernir et comme les cadeaux n’était distribué que le 25 au matin il y aurait toute une nuit pour sécher ! C'était optimiste.
Toute notre équipe se retrouve le matin : Annie, Daniel, Jacques, Guy et moi-même. La veille, tous étaient restés jusqu’au bout pour réaliser les assemblages. Lorsque nous entrâmes dans le garage, catastrophe, on constata immédiatement un gros problème. Trois des cinq locomotives avaient perdu leur cheminée ! Qu’avait-t-il bien pu se passer ? Nous eûmes l’explication rapidement. Alors qu’on s’interrogeait, voilà notre chat mistral qui rentre dans le garage. Sans même chercher à dissimuler son forfait, le voilà qui se couche et attrape de la patte un petit objet sous une armoire. C’est une des cheminées de loco, petit cylindre de bois constituant un beau petit jouet pour un chat facétieux. « Si Mistral démolit derrière nous ce que l’on construit on n’y arrivera jamais !»
— En même temps mistral nous a montré que notre cheminée n’était pas assez solide. Combien de temps aurait-elle tenu entre les mains des petits, se demanda Annie.
— Nous allons les remettre en place mais plus solidement, complétais-je. Il suffit de percer un trou dans la chaudière et un autre dans l’axe de la cheminée et d’assembler les deux en utilisant un tourillon et en complétant par de la colle blanche. Ainsi l’assemblage est immédiatement solide, il n’est pas nécessaire d’attendre le séchage.
L’idée fit l’unanimité, Aussi 30 minutes plus tard les cinq locomotives étaient prêtes à vernir. Nos cinq trains avait fière allure. Nul doute qu’ils seraient magnifiques après avoir reçu le vernis.
Plus rien ne semblait pouvoir s’opposer à présent à l’achèvement de notre travail. Et pourtant ! Il nous restait bien environ une heure avant le repas et nous décidâmes de commencer à vernir. Mais parents et certains des copains avaient trouvé des pinceaux en quantité suffisante pour que nous travaillions chacun sur un véhicule. Nous pouvions ainsi espérer réaliser deux couches de vernis dans la journée : une ce matin une autre plus tard dans l’après-midi. Rien n’arrivât comme prévu ! À l’ouverture du pot nous constatâmes qu’il restait vraiment très peu de vernis et, le pire, il était recouvert d’une couche sèche épaisse. Une fois enlevé cette pellicule il ne restait plus rien dans le pot ! C’était très décevant. Notre dernière étape de fabrication étais anéantie. Le pire est que nous ne pouvions pas donner les cadeaux dans cet état, ni préciser que ce n’était pas fini et qu’il faudrait nous les rendre pour les finitions. C’était exclus aussi de différer la remise des cadeaux. Tout cela était impensable en particulier avec la difficulté d’explication à un jeune public, dont certains peut-être croyais encore au Père Noël. Non ! non ! il fallait trouver une solution.
Vendredi 24
Un wagon tombereau dans lequel on peut charger du sable.
Une voiture de voyageurs.
Je n'ai pas de photos de nos réalisations mais j'ai retrouvé les plans succincts que j'avais réalisés à l'époque. Le locomotive est inspirée par une 020 Decauville du genre de celles utilisée à la scieries dans le passé. J'avais prévu une bielle mais on a dû y renoncer car elle se bloquait et gênait le roulement.
Il fallu tenir conseil et trouver une solution pour résoudre cette situation de crise.
« Bon nous avons les pinceaux, mais nous n’avons pas de pot … de vernis »
Un tour d’horizon rapide nous montra qu’on ne pourrait pas en trouver dans le commerce. « D’abord il n’y a pas de quincaillerie à Clérieux il faut se rendre à Villars d’Avers. Je crains fort de plus que cet après-midi du 24 décembre la seule quincaillerie soit déjà fermée. »
— Réfléchissons à des Clérieusiens bricoleurs de nos connaissances qui serait susceptibles de nous passer un pot de vernis !
Ne passâmes en revue tous les habitants de Clérieux, du moins mentalement. C’était impensable d’aller frapper à toutes les portes. Nous réfléchissions aux habitants qui avait le plus de chance de posséder l’objet convoité. Certains d’entre eux étaient éliminés d’office. D’autres faisaient l’objet d’un débat dans lequel on pesait le pour et le contre. Ainsi la famille Faussurier tenant la ferme de la base Béraude Semblait une famille favorable. Dans une ferme on est amené à beaucoup bricoler par soi-même mais finalement nous avons renoncé à les questionner car si les Faussurier travaillaient beaucoup de leurs mains, ils le faisait surtout au niveau du matériel agricole et des installations de la ferme et non pas au niveau de la décoration. On dressa une liste succincte :
Louis Bouvier (le berger) : trop dans la nature;
Michelle Buisson (sa compagne) : pas bricoleuse pour deux sous;
Famille Plévy (crêperie) : trop pris par la restauration;
André et Michelle Brenot (boucherie) : pas trop l’esprit créatif;
Marie Berger (Poissonnerie) ; idem;
Élina Buisson (magasin de mode) : pas manuelle du tout;
Henri et Fernande Tarot (boulangerie) ; trop pris par la boutique;
Bruno Gauthier (coiffeur) : dispose de peu de temps pour bricoler.
Sur ce dernier nous nous attardâmes un peu. Ne pouvait-t-on pas remplacer le vernis par de la laque pour les cheveux ? On écarta l’idée pour différentes raisons.
La liste ne s’arrêtait pas là mais ne nous apportait aucune solution évidente.
Tout à coup j’eu une idée comme un éclair ! « Mon copain Louis qui joue du violon ! Il a certainement un pot de vernis pour entretenir son violon ! Une petite couche de temps à autre doit bien être nécessaire ! » L’idée était tellement évidente que tout le monde la plébiscita ! Il habite quelques maisons plus loin dans le bourg, je fais un saut chez lui pour demander !
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire j’étais rendu chez lui. J’y croyais dur comme fer ! C’est Louis qui m’ouvrit. « Ma pauvre Marie, tu n’y penses pas ! Un violon est un objet précieux qui doit être entretenu par un spécialiste, un luthier. Nous allons assez régulièrement à Grenoble pour cela et l’entretien consiste surtout à changer des cordes, le vernis dure des années ! » J’étais bien sûr déçue mais aussi je me trouvais bête et piteuse de ma naïveté. Je n’avais aucune connaissance sur les violons (ou autres instruments d’ailleurs !)
Tout cela ne faisait pas progresser notre problème.
Il était à présent 13 heures et pour gagner du temps maman nous avait préparé à tous des sandwiches ce qui nous permis de réfléchir tout en mangeant. Malgré tout, notre capital temps s'amenuisait et nos chances de succès devenaient presque nulles, sans solution à l'horizon.
Ne sachant plus dans quelle direction chercher je posais à ma mère une question a priori sans rapport. « Au fait à quoi avais-tu utilisé le vernis, maman ? »
— c’était pour rénover le…
Maman s’interrompit, le faite de raviver ce souvenir lui avait rappelé quelque chose. « Mais oui, ll y’a un autre pot ! Celui que je vous ai passé est le premier pot pratiquement vide qui a servi à un autre travail plus ancien ! Il était déjà sec lors de la rénovation du petit placard et j’ai dû racheter un pot neuf. C’est à celui-là que je songeais ! »
— et ce pot là se trouve…
— juste ici ma fille !
et joignant le geste à la parole elle tendit le bras sur une étagère et brandi très fière un pot de vernis presque neuf !
— Tu exagères de manifester ainsi ta victoire ! C’est tout de même par ta confusion que nous avons perdu tout ce temps !
— oui, je l’admets et pour me faire pardonner je vais vous donner un coup de main pour vernir, nous avons assez de pinceaux.
Cette fois le vernis était bien au rendez-vous. On organisa un petit atelier où nous étions tous répartis autour du précieux pot.
L’après-midi fut joyeux et les pinceaux s’activaient ! Le bois prenait une belle teinte ambrée avec des nuances car il y avait des essences différentes selon les parties des wagons. Les roues ressortaient plus foncées. Au bout d’une demi-heure tout était vernis. Cependant une seconde couche s’imposait mais il fallait attendre au moins 6 heures de séchage. Nous décidâmes d’attendre après le dîner et de terminer vers 21h. Aucun incident imprévu ne vint troubler la fin de l’atelier. À 10h tout était bouclé et chacun pouvait retourner chez soi.
Mercredi 22
Le wagon à ranchers permet de charger des branchettes figurant des grumes.
Le lendemain les trains en bois étaient bien secs et le moment était venu de porter les cadeaux chez les parents des enfants. Ce fût autant des cadeaux de Noël pour les enfants que pour les parents ! Les enfants de ces familles pauvres ne croyaient en fait plus au Père-Noël depuis longtemps ! Les trains leur furent remis sans artifice et les parents leur expliquèrent notre travail. Il fallait voir la joie de ces enfants ! Il regardaient émerveillés les locomotives et les wagons. Assez vite ils inventèrent une gare dessinée à la craie sur une zone cimentée dans la rue, avec des voies et des aiguilles. Ils tiraient leur trains sur ces rails imaginaires, sifflaient à l’approche d’un passage à niveau lui aussi dessiné sur le sol. La journée fût occupée entièrement par ce jeu collectif au cours duquel ils effectuaient des manœuvres pour former des rames différentes. Il reproduisirent même une double traction comme cela leur était arrivé d’en observer sur la ligne de Gap. Cela avait fier allure avec deux locomotives tirant une rame de 9 wagons ! Bien sûr des chargements étaient installés. Du sable et des bûches dans les wagons de marchandises et des personnages en plastiques avaient pris place dans les voitures de voyageur dont le toit était amovible. Nous étions émus devant tant de bonheur. J’ai été moi aussi comblée en recevant l’électrophone de mes rêves avec trois disques, mes amis également ont été gâtés mais au final nous avions eu au moins autant de plaisir à donner qu’à recevoir.
Samedi 25
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