Un peintre à Clérieux
vendredi 25 août 2023
Je vais de temps à autre faire un tour sur le site WEB «
Les trains du Tertre » de mon ami Philippe pour voir l’évolution de son réseau miniature. J’ai fait connaissance de Philippe dans mon enfance lorsqu’il était venu en vacances à Clérieux et nous sommes toujours restés en relation, aidés par le hasard d’une proximité de lieux puisque le hasard a voulu que nous habitions la même commune. Il réside depuis longtemps à Casson (Loire-Atlantique) où je me suis moi-même installée après avoir quitté Clérieux. Dernièrement Philippe a écrit un article dans lequel il explique
l’installation sur son réseau d’un nouvel élément de décor dans le village. Il s’agit juste d’un personnage de plus, mais qui a une histoire. Cet artiste peintre a installé son chevalet dans une prairie où paissent tranquillement des vaches et il met la touche finale à un tableau montrant le centre-bourg de Clérieux. Philippe explique sur sa page qu’il a fait la connaissance de l’artiste Jean-Paul Gautier et lui a fait visiter son réseau de trains miniatures. C’est le peintre qui lui a suggéré d’installer un personnage en réduction en train de faire un tableau dans la maquette.
Bien qu’habitant dans l’Isère,
Jean-Paul Gautier vient régulièrement en Loire-Atlantique pour peindre des scènes rurales ou des petits villages comme Casson. C’est comme cela que Philippe a fait sa connaissance. Sur le moment je n’ai pas fait le lien et puis, lorsque j’ai appris que ce peintre vivait non loin de Grenoble, donc non loin également de Clérieux, cela a fait remonter dans ma mémoire un souvenir estompé.
J’ai 19 ans et nous sommes en 1969. Mon envie de marcher m’avait mené ce jour-là sur les hauteurs vers La Haute Béraude et le Pas des Lauzes. J’allais seules cette fois là, laissant mon esprit et mon corps errer dans l’air frais des alpages. Arrivée au lieu-dit le Pré-Gras, j’aperçois de loin un homme assis sur un pliant. Je pense d’abord qu’il s’agit d’un pêcheur. Mais rapidement j’écarte cette supposition. D’une part je ne connais pas de cours d’eau où d’étang dans ce lieu, d’autre part la silhouette de l’inconnu fait plutôt jeune. Je n’imaginais guère qu’un jeune puisse s’adonner à la pêche, allez savoir pourquoi ! Je m’approche, du garçon et reste sans souffle devant son travail de peinture. Je n’imaginais pas non plus qu’un jeune pouvais déjà réaliser de telles toiles. Pour engager la conversation je lance «Bonjour, j’aime bien ce que vous faites ».
— Moi aussi…j’aime bien ce que je fais ! me rétorque-t-il avec un petit sourire malicieux.
— J’admire la manière dont vous capturez la beauté de ces montagnes. C'est impressionnant.
Il rit légèrement.
— C’est gentil à vous de le dire. J'essaie simplement de transmettre ce que je ressens lorsque je contemple ces paysages. Chaque trait doit être comme une partie de l'environnement lui-même.
Nous continuons à discuter de sa technique et de son inspiration, et je suis impressionnée par sa maturité et sa passion pour l'art, bien au-delà de ses 17 ans.
— Vous me rappelez Jongkind, je dis finalement, admirative. Ses yeux s'illuminent à cette comparaison.
— C’est le plus beau compliment que l'on puisse me faire. Jongkind est une véritable source d'inspiration. Comment le connaissez-vous ?
— Je sais qu’il a vécu dans la région et qu’il est mort en 1891 à Saint-Égrève non loin de Grenoble. Sa tombe n'est pas loin, à La Côte St-André. J’ai eu l’occasion de voir plusieurs de ses toiles.
Jean-Paul, puisqu’il s’agit bien de lui, vous l’aurez deviné, converse ainsi avec moi pendant une bonne heure ! Lors de cet échange j’apprends que Claude Monet disait de Jongkind qu’il lui devait « l’éducation définitive de son œil ». Ce peintre né en Hollande a passé une grande partie de sa vie en France et est considéré comme un précurseur de l’impressionnisme.
Cette rencontre je ne l’ai jamais oubliée. Et pourtant mon chemin n’a jamais re-croisé celui de Jean-Paul jusqu’à aujourd’hui, 54 ans plus tard ! L’autre jour j’ai aperçu le chevalet et la silhouette d’un homme sur son pliant à l’entrée du bourg de Casson. Je me suis approché. À n’en pas douter, ce ne pouvait être que Jean-Paul travaillant ses couleurs. Je me suis approchée.
— Bonjour, j’aime bien ce que vous faites !
— Moi aussi…j’aime bien ce que je fais !
Il n’avait rien perdu de sa bonhommie.
Les hasards de l’existence sont étonnants. Quelle était la probabilité de cette triple rencontre fortuite Jean-Paul, Philippe et moi à Casson alors que nous nous sommes connus il y a plus de 50 ans dans l’isère ? Philippe, plus rationnel que moi, m’a expliqué qu’il n’y a rien d’extraordinaire à ce que de tels événements rares se produisent car chacun d’entre nous est potentiellement confronté à une quantité énorme d’événements rares (ce n’est pas un oxymore). Les événements rares considérés dans leur globalité ne sont donc pas rares. Il faut bien que parfois il s’en produise !
D’après des biographies Johan Barthold Jongkind était toujours prêt à aller au-devant des autres pour échanger. Sa gentillesse naturelle lui attirait la bienveillance des habitants des campagnes. Plantant son chevalet au détour d’un chemin, il aimait croquer les paysans, les travaux des champs, les scènes rurales. Jongkind aimait tout ce qui l’entourait, la nature, les animaux, les humains.
Ma première rencontre de 1969 avec Jean-Paul avait duré plus d’une heure. Aujourd’hui c’est pendant plus de quatre heures que nous avons bavardé, de peinture bien sûr mais pas seulement. Jongkind a inspiré Jean-Paul par son art mais aussi par sa façon d’être. Je réalise à présent que Jean-Paul est Jongkind !
La rue du château avec la chapelle sainte Anne.
Photographie d'un tableau de Jean-Paul Gautier aimablement offerte par l'auteur pour réaliser des cartes postales au profit de l'association Casson mon pays qui s'intéresse au patrimoine de la commune.
La tombe de Johan Barthold Jongkind à côté de celle de Joséphine Fesser à
La Côte Saint-André (Isère).
Photographie de Johan Barthold Jongkind (auteur inconnu) Wikipédia, Domaine public